Chroniques
L’immigration : un dossier controversé qui revient souvent
Lorsque le couperet est tombé sur l’immigration récemment à la suite de pressions politiques, plusieurs économistes ont été surpris que le gouvernement fédéral ait décidé de réduire considérablement le nombre annuel de résidentes et résidents permanents (RP). La quasi-totalité de l’augmentation du flux de personnes entrant au Canada ces dernières années était due aux personnes étudiantes internationales et à leurs familles, ainsi qu’à d’autres résidentes et résidents temporaires. Le nombre de RP a augmenté, mais de manière relativement contrôlée et ordonnée. Aujourd’hui, le taux annuel de RP par rapport à la taille de la population devrait retomber au niveau de 2016.
Nous soupçonnons que la région Chaleur ou les autres régions moins urbaines du Nouveau-Brunswick n’ont pas été évoquées lors des délibérations pour en arriver à ces décisions. Les régions rurales sont rarement considérées à Ottawa, peut-être parce qu’elles sont à des milliers de kilomètres d’Ottawa — géographiquement et en termes d’influence.
Mais n’oublions surtout pas que la récente expansion de l’immigration a donné l’occasion à des endroits comme Miramichi, la région Chaleur et bien d’autres régions d’attirer de nouveaux arrivants et arrivantes. Par exemple, le comté de Northumberland est en voie d’accueillir plus de 300 RP cette année comparativement à 25 en 2015. Je connais plusieurs compagnies en régions qui n’auraient pas pu y demeurer sans cette immigration cruciale à leur développement et leur expansion. Quand la population augmente, la situation de la main-d’œuvre s’améliore et les économies en région sont aussi bénéficiaires. Lorsque le niveau d’immigration est contrôlé ou limité, les principaux bénéficiaires sont surtout les grandes régions urbaines qui sont naturellement plus prédisposées à fournir les logements nécessaires pour accommoder les besoins d’une population en croissance.
Est-ce que le gouvernement libéral fédéral tente d’imiter les conservateurs fédéraux qui se rapprochent de plus en plus des positions anti-immigration provenant des républicains des États-Unis ? Qu’arrivera-t-il à Miramichi, à Campbellton et dans la région Chaleur ? Cela n’a peut-être pas beaucoup d’importance pour les ministres à Ottawa, mais cela en a beaucoup pour les personnes et les entreprises qui habitent particulièrement en régions moins urbaines comme celles mentionnées ci-haut.
Toute personne ayant une connaissance, même superficielle, de l’immigration sait que le système à points était défavorable aux petites provinces et aux petites zones urbaines/rurales, même dans les grandes provinces.
Selon David Campbell, un économiste très reconnu au Nouveau-Brunswick : « Si l’on examine les voies d’accès à la résidence permanente au Canada, on constate que nombre d’entre elles ne sont pas assorties d’exigences en matière de compétences — notamment le regroupement familial et les réfugiés, mais aussi d’autres voies d’accès. En raison de sa base d’immigrants existante, une ville comme Toronto a attiré la plus grande partie de ses immigrants par des voies sans compétences (ou “points”) ou sans exigences limitées. Le Nouveau-Brunswick, en revanche, n’a pas attiré beaucoup de personnes immigrantes par ces voies. »
C’est vrai que Toronto attire plus de personnes immigrantes dans les professions à bas salaire que dans les professions à haut salaire selon Statistique Canada. Je tiens à souligner que tous les emplois sont importants pour une saine économie. Ce qui a été fait ces dernières années, c’est d’essayer d’uniformiser les règles du jeu. Toutefois, cela ne semble pas fonctionner et, souvent, ceci s’effectue au désavantage des régions rurales.
Alors, les solutions pour mieux gérer l’immigration au Canada sont très complexes et les défis qui en résultent parfois et même souvent inquiètent nos politiciens et politiciennes. Mentionnons la disponibilité du logement abordable, la reconnaissance des compétences des nouvelles personnes arrivantes, la surcharge sur nos soins de santé ou le débat sur les types d’emplois qui devraient être privilégiés, ainsi que l’impact sur l’itinérance, la criminalité ou la santé mentale. Je dois admettre que ce n’est pas facile pour nos leaders gouvernementaux d’aborder ce sujet qui demeure controversé dans plusieurs endroits au Canada. Mais, comme leaders économiques et politiques, nous avons le devoir d’adresser ces énormes défis afin de soutenir une croissance économique saine au pays.
David Campbell continue : « Nous devons envisager l’immigration comme un moyen de relever les défis démographiques à long terme. L’approche actuelle, à courte vue, met en péril l’avenir économique du Canada et, comme je l’ai déjà dit, nous prépare à ce qui s’est passé aux États-Unis, où des régions entières du pays se sentent profondément lésées. »
Il faudra trouver des solutions spécifiques aux régions selon leur besoin et non nécessairement uniformes comme dans le passé. Les défis sont complètement différents d’une région à l’autre, d’une province à l’autre et entre les régions urbaines et rurales. Nous devons absolument prioriser le développement des économies régionales partout au Nouveau-Brunswick. Une façon de le faire serait d’impliquer les gens en communauté, les consulter et mieux comprendre les défis uniques de chacune des régions. Une taille unique ne convient pas à tout le monde. Je demeure confiant que le Canada et le Nouveau-Brunswick peuvent devenir des puissances économiques internationales. Mais pour y arriver, tout passe par la main-d’œuvre qualifiée et, évidemment, par une immigration bien gérée par les deux paliers de gouvernement pour répondre aux besoins spécifiques des régions et des provinces.
J’en profite pour féliciter, Susan Holt, la première femme première ministre du Nouveau-Brunswick, un moment historique pour notre province. Je connais très bien Susan Holt et j’ai beaucoup confiance en elle pour mener à bien tous ces dossiers complexes. Je sais qu’elle et son équipe impliqueront les gens en communauté et les consulteront pour mieux comprendre les défis uniques de chacune des régions. C’est avec grand plaisir que le Conseil économique du Nouveau-Brunswick travaillera avec le nouveau gouvernement provincial pour prioriser le développement de nos économies régionales avec des politiques d’immigration progressives et adaptées aux besoins spécifiques des régions. Ensemble, nous y arriverons !
Gaëtan Thomas
Président-directeur général du CÉNB